2.2 Les obstacles au développement d'un tel théâtre
Nombreux sont ceux qui ne voient pas d'un bon œil le développement d'un tel théâtre.
2.2.1 les puritains
Qui sont-ils?
Ce sont les laissés pour compte de la Réforme religieuse en Angleterre. En 1534, Henri VIII consomme la rupture avec l'Église catholique de Rome. En 1559, l'Église d'Angleterre ou Église anglicane est officiellement établie. Mais l'anglicanisme n’est autre que le résultat d'un compromis entre la volonté des Réformateurs et les tenants du catholicisme. La hiérarchie de l'Église anglicane, sa liturgie s’avèrent très fortement inspirées de celles de l'Église catholique. Les mécontents, les déçus de la Réforme en Angleterre, ceux que l'on appelle les dissidents, les non-conformistes, sont donc d’une part les catholiques, d’autre part les jusqu'au-boutistes de la réforme, parmi lesquels les puritains. L’étymologie du mot « puritain », la pureté, renvoie à l’exigence de rigueur morale que ces dissidents affichent.
Leur attitude face au théâtre:
Tout au long du XVIe siècle, les puritains se livrent à des attaques répétées contre l'immoralité du théâtre. Leur attitude va à l’encontre de la relation complémentaire que l'Église entretient avec le théâtre au Moyen-Âge (mais ceci se comprend dans la mesure où ils prônent une "purification" d'un christianisme selon eux décadent). Au Moyen-Âge, en effet, alors que la majorité des fidèles ne savent pas lire, le théâtre apparaît comme le langage indispensable pour véhiculer les dogmes de l'Église. Le théâtre illustre les Écritures Saintes. Faisant fonction d'aide-mémoire, il rappelle, par le biais de tableaux vivants, la Vérité fondamentale. C’est donc un instrument de propagande religieuse. La déclaration du Pape Grégoire le Grand (Pape entre 590 et 604) sur le rôle de l'image et de la représentation théâtrale va dans ce sens. Placé sous la protection de l'Église, le théâtre médiéval a une visée didactique. Il est à but non lucratif, tout entier voué à la gloire de Dieu. À la Renaissance, la fonction divertissante du théâtre est mise en avant, sans pour autant que la fonction didactique disparaisse, loin s'en faut.
Les principaux arguments des puritains contre le théâtre :
Sa fonction de divertissement est condamnable, car elle encourage l'oisiveté (il faut noter au passage que la notion de divertissement est avant tout associée à la haute société, à la cour, bref à des cercles sociaux oisifs, dont les membres vivent de leurs rentes).
Le fait que les rôles féminins soient joués par de jeunes garçons peut être source de corruption.
Le théâtre est synonyme d'hypocrisie, de fausseté, de mensonge (argument qui remonte à l'Antiquité et n'est pas seulement brandi par les puritains).
Les attaques réitérées des puritains contre le théâtre aboutiront en 1642 à la fermeture des théâtres et à l'interdiction formelle et officielle d'écrire, de publier et de représenter des pièces. L’édifice du Globe est détruit en 1644. Le théâtre entre alors dans une phase de clandestinité qui dure jusqu'en 1660. Les auteurs dramatiques se font publier en Suisse et les pièces sont jouées dans des demeures privées sous couvert d'un concert ou d'une réunion mondaine.
2.2.2 L'autorité publique, politique et religieuse
De manière générale, les divertissements populaires comptaient davantage d'opposants que de partisans, et ce dans toute l'Europe.
L'Église :
L’institution religieuse se plaint de la concurrence entre représentations théâtrales et services religieux.
Les autorités de la Cité :
Elles considèrent le théâtre comme une menace envers l'ordre public. En conséquence, les théâtres n'ont pas droit de cité et sont érigés dans les banlieues mal famées de Londres.
Les arguments invoqués contre le théâtre :
D'une part la sécurité des citoyens est en jeu lors des représentations qui deviennent le repaire idéal de pick-pockets, bandits, prostituées,...
D'autre part, tout rassemblement populaire fait craindre une manifestation de sédition. D'où l'importance du rôle de la censure. Dans les trente dernières années du règne d’Elisabeth I, les autorités de la cité essayèrent au moins une fois tous les dix ans de rendre le théâtre illégal et de fermer définitivement les lieux de représentation. Elles y parvinrent pour de courtes périodes (par exemple, en cas d'épidémie de peste).
La censure :
À partir de 1589, un comité passe tous les textes dramatiques au crible avant d'autoriser leur publication et leur mise en scène. Ce comité se compose du Master of the Revels ou Maître des Divertissements, du lord-maire de Londres et de l'Archevêque de Canterbury, à qui il appartient de vérifier qu'il n'y a rien de séditieux envers l'Église ou l'État.
En 1606, une loi entre en vigueur : tout blasphème envers le saint nom de Dieu, du Christ ou de la Trinité, dans un texte dramatique et/ou prononcé sur scène, sera sanctionné par une amende. C’est l’une des raisons qui peut expliquer l’existence de deux textes, désignés comme Texte A et Texte B, et datés respectivement de 1604 et 1616, pour Dr Faustus/ Dr Faust de Christopher Marlowe.
Dans Richard II de Shakespeare (1595), la scène de la déposition (acte 4) est censurée. Jamais représentée du vivant d'Elisabeth I, elle n'est publiée qu'en 1608, cinq ans après sa mort, dans le 4e quarto de la pièce.